Emile THIVIER
(1858-1922)
Présentation, sa vie, son oeuvre

"Un académique au temps des impressionnistes"

Emile Thivier naît en 1858 à Paris, dans une famille où la carrière artistique n'est malheureusement pas la bienvenue. Son frère Eugène, qui est sculpteur, est vivement critiqué et lorsque Emile annonce qu'il veut faire les Beaux-Arts, son père lui coupe les vivres.

C'est grâce à l'aide clandestine fournie par sa mère qu'Emile peut tout de même suivre l'enseignement tant désiré. Elève de Lehmann, Laugée, Dagnan-Bouveret et peut-être de Pils, Emile Thivier reçoit une formation très académique. Parallèlement, en 1876 et 1877, il suit des cours à l'Académie Julian, fondée par un Suisse en 1868, dont l'enseignement se voulait plus libéral. C'est sans doute à ce moment-là qu'Emile Thivier côtoie des artistes novateurs, que seule cette institution était prête à accueillir.

Au début, Emile Thivier peut vivre de sa peinture, en réalisant dans son atelier de la rue de Longchamp ces portraits officiels que les bourgeois se devaient de posséder. lorsqu'il découvre Honfleur, il passe sans regret à une peinture beaucoup plus naturaliste. C'est là qu'il rencontre sa première femme, Claire Hulot, qu'il épouse vers l'âge de vingt ans. Ils auront trois filles : Yvonne, Suzanne et Madeleine. En 1893, c'est le premier voyage en Suisse, pour tenter de remédier à la santé fragile de Claire Hulot. Lors de ce séjour décède une de leurs filles, Yvonne, d'une appendicite mal diagnostiquée. Toujours à la recherche d'un climat bienfaisant pour sa femme et lui-même, Emile Thivier décide de rendre visite à son beau-frère médecin qui effectuait un remplacement à Ecueillé. Le séjour les enchante et Claire Hulot souhaite très vite s'installer en Berry, pensant que sa santé pourrait s'en trouver raffermie. Emile Thivier acquiert alors en 1896 une propriété qu'ils visitèrent par hasard : les Cognées, à Luçay-le-Mâle, où la famille viendra passer quelques mois chaque année. Mais Claire Hulot meurt en 1900, n'ayant que peu profité de sa nouvelle demeure. Suzanne, leur seconde fille, décède également aux Cognées, en 1902, alors qu'elle commençait à apprendre la peinture auprès de son père.

Un an plus tard, Emile Thivier rencontre Marie Paing et l'épouse en secondes noces. Deux enfants viennent agrandir le foyer : Françoise qui naît en 1907 et Solange en 1912.

Alors que pendant la première partie "parisienne" de sa carrière Emile Thivier expose essentiellement des portraits et des sujets religieux ou mythologiques, à partir de 1904 les catalogues de salon ne mentionnent plus que des oeuvres d'inspiration berrichonne. Le choix des sujets s'était imposé de lui-même, peu de notables ayant les moyens de faire réaliser leur portrait à Luçay-le-Mâle. Il continuait d'exposer mais ne vendait plus du tout. Il lui arriva même d'offrir une de ses oeuvres à un amateur d'art qui regrettait d'avoir épuisé son budget annuel consacré à l'achat d'oeuvres et de ne pouvoir acquérir un de ses tableaux admiré au Salon. Il s'agissait d'un magistrat d'Auxerre, Monsieur Mérat, qui devint un ami très intime de la famille et dont le fils fut déclaré tuteur des enfants Thivier à la mort de l'artiste.

Bien qu'installé définitivement aux Cognées depuis 1909, Emile Thivier n'en continua pas moins de se rendre régulièrement à Paris, où il pouvait observer les changements occasionnés dans le monde de l'art par la création du Salon des Artistes Indépendants et du Salon d'Automne.

Il connaissait bien les productions de l'époque, et recevait des journaux comme L'Illustration, qui présentait des hors-texte en couleurs. La diffusion des oeuvres d'art, à cette époque, est en pleine expansion grâce à la gravure (qu'Emile Thivier pratiqua lui-même) et à la photographie. Cette dernière tendait à concurrencer la peinture "léchée", qui se justifiait par son extraordinaire virtuosité à rester fidèle au modèle. Emile Thivier en tirait parti, pour fixer des sujets qu'il pourrait traiter ultérieurement sur la toile. Il photographiait ses oeuvres, en noir et blanc, et développait lui-même ses clichés. Ainsi n'eut-il bientôt plus besoin de peindre plusieurs fois le même tableau quand le sujet lui plaisait et qu'il désirait en conserver un exemplaire.

Retiré en Berry, il était littéralement "écoeuré" de la tournure que prenaient la peinture et l'enseignement dispensé aux Beaux-Arts. Il ne se sentait plus de son temps et à la fin de sa vie, ne voulait plus peindre : "Je ne veux plus exposer, ma peinture n'a plus aucun sens pour les gens de maintenant et elle n'a plus aucune valeur 1". Il légua son atelier à Marguerite Paing, sa belle-soeur, qui vint vivre avec eux aux Cognées à partir de 1908 et à qui il enseigna le dessin et la peinture. Elle avait auprès de lui remplacé un peu sa fille disparue en 1902, qui souhaitait elle aussi apprendre les beaux-arts. Marguerite exposa deux fois au Salon des Artistes Français, dont elle fut sociétaire. Après la mort d'Emile Thivier, elle continua de peindre dans son atelier et ce, jusque dans les années 1940.

Alors qu'il avait fréquenté des artistes très novateurs à l'Académie Julian, Emile Thivier ne voulut jamais adopter leur façon de peindre. Mais qu'il le veuille ou non, ses toiles se ressentent de ces rencontres. Elles témoignent successivement de l'influence du réalisme des années 1850 qui avait laissé des empreintes durables, puis de l'impressionisme de 1870, puis du pointillisme, et même d'une once de cubisme ...

Pourtant, Emile Thivier honnissait ces tendances ; en 1914, la peinture moderne est pour lui une "hérésie sans nom". Picasso lui paraît le pire de tous ces artistes, car mettre des objets "dans n'importe quel ordre sans composition" était une aberration pour qui avait appris la perspective et le modelé. Emile Thivier pensait fermement qu'une interprétation de la nature ne pouvait constituer un sujet. Tout l'art résidait pour lui dans la fidélité conjuguée à un choix intelligent du sujet, d'une lumière, d'une ambiance. En cela, il est un fervent académique, qui fut maintes fois primé au Salon. Il y exposa chaque année, de 1880 à 1914 puis de 1920 à 1922 et reçut une médaille d'honneur en 1892, une de troisième classe en 1896, de bronze en 1900, de deuxième classe en 1901. A partir de 1887, il fait partie de la Société des Artistes Français, et est déclaré hors concours en 1902. Dès lors, il peut envoyer au Salon deux oeuvres par an, qui ne seront plus soumises à l'avis du jury.

Pourtant, le simple fait d'installer son chevalet à l'extérieur, de ne pas idéaliser son sujet, de choisir des motifs naturalistes, suffit à le distinguer des purs académiques qui ne toléraient que la copie de l'antique et l'influence des grands maîtres du passé. D'un autre côté, lorsqu'il aborde les paysages, il souhaite avant tout peindre ce qu'il voit, ce qui le rapproche des réalistes. Mais il ne succombe pas véritablement à l'impressionisme qui restitue ce que ressent le peintre quand il voit une chose, et non un simple calque du sujet. Emile Thivier se situe donc entre ces grandes tendances de la peinture du XIXème siècle qui marquaient le passage de l'Académie des Beaux-Arts à l'art moderne.

1 - Les propos d'Emile Thivier, en Italique, sont rapportés par sa fille Françoise.

Claire CARRILLON
DEA d'Histoire de l'Art
Diplômée de Muséologie à l'Ecole du Louvre
Conservateur du Patrimoine



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